Festival Maintenant 2018 ► Interview de Caterina Barbieri
Publié le 4 septembre 2018 / Festival
Découvrez Caterina Barbieri dans cette interview. Faisant partie des artistes SHAPE 2018, nous l’invitons pour notre Ambiance Électronique 2 au Théâtre du Vieux Saint-Étienne !
– En 2018, tu fais partie d’un groupe de 48 artistes européens sélectionnés sur la liste de SHAPE. Quelle est ta relation avec cette plateforme ?
SHAPE est une plateforme cool qui soutient de nouveaux artistes en musique électronique. Je suis contente d’en faire partie d’autant que j’y suis bien accompagnée : beaucoup d’amis (comme Jung An Tagen, JASSS et Pan Daijing) en font partie et on s’y sent un peu comme en famille.
J’ai particulièrement aimé jouer au Meetfactory, le quartier général de SHAPE, c’est un super club à Prague. Je suis impatiente aussi de jouer au festival Maintenant à Rennes en tant qu’artiste SHAPE !
– Peux-tu nous parler de tes premiers coups de cœur en musique électronique ?
Je me suis mise à la musique électronique avec la musique noise et les branches les plus abstraites du métal et du doom quand j’étais adolescente. À cette époque, j’étudiais la guitare classique au conservatoire, donc mes écoutes étaient assez schizophrènes. Je pense que la combinaison de ces références musicales dans ces années cruciales a beaucoup orienté mon chemin créatif et je pense que tout cela ressurgit ensemble d’une certaine manière dans ma pratique musicale actuelle.
– Comment es-tu passée de la guitare classique au synthétiseur modulaire Buchla 200 ?
J’étais déjà à la recherche de nouveaux sons électroniques quand j’étudiais la guitare classique. Quand j’ai commencé à jouer vers 11-12 ans, j’ai été attirée par le répertoire du XXème siècle – par exemple Leo Brouwer, Benjamin Britten, etc. Plus tard dans mon adolescence, j’ai commencé à aller à des festivals de musique contemporaine instrumentale ou électronique / noise. Donc après avoir eu mon diplôme en guitare classique, il m’a semblé normal de commencer le parcours Composition en Musique Électronique au conservatoire de Bologne.
À cette époque, il y avait un festival de musique électronique assez spécial dans ma ville, il s’appelait Netmage. Lors d’une édition de ce festival, j’ai vu le duo de femmes suédoises Ectoplasm Girls et j’en suis complètement tombée amoureuse. Je n’avais jamais vu deux jeunes femmes jouer de la musique électronique auparavant et ce jour-là j’ai décidé de faire un programme Erasmus à Stockholm pour étudier la musique électronique. Et c’est ce que j’ai fait. J’ai étudié au Conservatoire de Stockholm et j’y ai découvert ce qu’est un Buchla. J’ai commencé à créer ma propre musique avec et c’est comme ça que tout a commencé.
– Il y a une dualité forte dans ton album Patterns of Consciousness. D’un côté des morceaux très rythmiques et colorés et d’autres plus ambients et contemplatifs. Dans quel état d’esprit as-tu composé ?
Je n’étais pas dans un état d’esprit en particulier. Sur mon instrument, j’ai un contrôle manuel de l’horloge qui séquence tous les événements musicaux. Donc autant dire que la temporalité de mon instrument est très ouverte et fluide. En travaillant sur Patterns of Consciousness, j’ai beaucoup accéléré le tempo car les patterns que j’avais écrits étaient très longs et je devais accélérer le tempo pour les parcourir et les éditer à la volée. À travers ce processus de changement fluide et manuel du tempo, j’ai réalisé à quel point la vitesse pouvait radicalement changer la perception de la musique. Un même pattern joué plus lentement aboutit à un morceau complètement différent. J’ai commencé à beaucoup explorer cette temporalité fluide et particulièrement lors de mes performances. J’utilise l’accélération et la décélération comme des outils de création. Quand je joue Patterns of Consciousness en live par exemple, je joue les morceaux les uns après les autres sans interruption, en réglant graduellement à la main le tempo de chacun. Dans l’enregistrement, ces morceaux sont séparés en pistes, mais seulement pour des raisons pratiques.
– Pendant cette interview tu expliques que la part des émotions dans ton processus de composition est presque inconsciente. Je me demande quelle est ta première intention quand tu commences à composer ?
Je n’aime pas beaucoup le mot “intention” quand on parle de musique. Ça me rappelle une vision qui voit la musique et l’art comme des actes démiurgiques de création à partir de rien. Ça sonne trop chrétien pour moi. La musique est bien plus qu’une intention. La musique nous traverse, et parfois non – particulièrement quand tu le souhaites obsessionnellement 🙂
Il faut simplement se préparer à être disponible quand la musique arrive et la laisser couler à travers soi et ses instruments. C’est un peu comme être un médium mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas travailler beaucoup pour atteindre cet état.
Par exemple, la dimension émotionnelle de Patterns of Consciousness est assez inconsciente – un peu comme un effet collatéral. Peut-être parce que j’étais amoureuse quand j’ai écrit cet album et cette expérience a fuité dans ma musique d’une manière ou d’une autre.
Je dois avouer que ça a été assez compliqué pour moi d’accepter ce degré d’émotion dans ma musique et d’être à l’aise avec. Après cet album, j’ai beaucoup questionné ces aspects et me suis retrouvée au milieu d’une sorte de crise de créativité.
Mais finalement j’ai réalisé que mélanger cette émotion à la froideur et au côté machinique de ma musique était probablement ce que je pouvais exprimer de plus authentique. Maintenant, j’en suis très consciente et je suis très inspirée par l’idée d’explorer un équilibre intéressant entre émotion et contrôle strict, glacial… Et j’imagine que l’instrumentation que je choisis y joue un rôle fondamental. Jouer un certain pattern sur un piano peut facilement sonner pathétique. Mais le jouer sur un signal en dents de scie sec, nu et brut, le change complètement. C’est ça la musique !
– Quelle est ta playlist du moment ?
Canticles of Ecstasy de Hildegard von Bingen
Demonstration by Drab Majesty
Human Lines d’Astrid Sonne
In Viaggio de CSI
Aftertouches de Kara-Lis Coverdale
Tadaima d’Akiko Yano
Orfeo de Monteverdi
Blinks de Toxe
– Que prépares-tu pour ton passage à Maintenant ? Peux-tu nous parler de ton matériel ?
À Maintenant, je vais présenter un set avec 80% de musique inédite. Il s’agit de musique composée en 2018 principalement avec mon synthétiseur modulaire mais aussi des instruments acoustiques et numériques. Le challenge que je me fixe actuellement est d’étendre ma palette sonore et l’instrumentation en commençant par la construction de ma composition sur mon système modulaire et en l’appliquant à de nouveaux environnements.
– Travailles-tu sur des projets à venir ou des collaborations ?
Oui bien sûr ! J’ai beaucoup de projets… Cette année je présenterai par exemple une nouvelle collaboration avec l’artiste visuel italien Ruben Spini, je suis très enthousiaste par rapport à ça. Nous avons présenté ce travail à Atonal en août et nous le présenterons de nouveau au Unsound festival plus tard cette année. Il y a plein d’autres choses à venir mais c’est top secret pour l’instant 🙂
Pour creuser -> sa Boiler Room et sa conférence/performance pour Ableton.
Interview réalisée par Arnaud Briens
Photo de couverture : © Visvaldas Morkevicius