Des stylos billes pour le Projet Pilot
Publié le 13 novembre 2014 / Actualité générale
Un projet collaboratif aux dimensions monumentales
Vous avez raté l’exposition du Projet Pilot pendant le festival Maintenant ? Pas de panique, voici une interview d’Antoine Martinet, codessinateur avec Elsa Quintin de ces deux gigantesques fresques.
Crédit : Yann Langevin
Munis d’un stylo bille Pilot -d’où le nom du projet-, ces deux artistes ont planché sur un premier polyptyque, de 2009 à 2011, puis sur un second, de 2012 à 2014. Ces deux fresques sont composées de huit panneaux aux dimensions monumentales (180cm/50 cm). Voici l’éclairage apporté par Antoine Martinet sur ces deux fabuleux dessins :
Avec Elsa Quintin, vous avez commencé à travailler sur le Projet Pilot en 2009. Peux-tu revenir sur sa genèse ?
Nous nous sommes rencontrés aux Agités du Bocal, une association qui regroupe des artistes rennais. On a vu que notre univers de dessin était similaire, qu’on aimait tous les deux, par exemple, travailler en noir et blanc.
On a rapidement eu l’idée de faire un grand dessin collaboratif. On souhaitait faire disparaître la notion d’auteur en mélangeant nos univers sans que l’on puisse percevoir qui dessine quoi.
Ensuite, on avait un réel intérêt pour créer un décalage entre la surface, qui est gigantesque, et l’outil, un stylo bille.
Justement, pourquoi avoir choisi un simple stylo bille pour dessiner ? Combien en avez-vous utilisé pour réaliser les fresques ?
On a choisi le stylo pour ses propriétés physiques, techniques. On souhaitait obtenir un effet « mine de plomb » comme on peut l’avoir avec le crayon gris. L’avantage du stylo bille noir c’est la profondeur du noir qui donne un résultat beaucoup plus contrasté qu’avec un crayon à papier. Le rendu est proche de la gravure « taille douce ». Le Projet Pilot ressemble à une estampe géante.
Concernant le nombre de stylo, on en a peut-être utilisé cent, deux cents. Nous n’avons pas vraiment compté les stylos vides.
Votre choix est-il motivé par la possibilité de dessiner avec une grande précision ?
Oui cela a aussi joué. Nous avons travaillé avec trois types de mines différentes. Un stylo à 0.7mm, un autre à 1.0 et un troisième à 1.6.
Tu travailles plus souvent avec de la peinture, ça fait quoi d’utiliser un stylo ?
Travailler avec cet outil était génial et en même temps douloureux car l’outil n’est pas conçu pour une longue utilisation. Du coup, on était obligé de dessiner par session de deux ou trois heures avant que la fatigue ne s’installe.
Crédit : Yann Langevin
Et comment avez-vous fait pour travailler à deux sur une aussi grande surface ?
Pour le premier projet, on faisait des schémas au préalable et on s’est réparti des zones d’un point A à B. Elsa s’est par exemple occupée de la première partie avec les dinosaures.
Sur le second projet, on a fonctionné différemment. On a reproduit un montage photo que l’on avait créé. C’est un paysage artificiel construit à l’aide d’images google.
La répartition s’est davantage faite par rapport à nos affinités et nos capacités de reproduction. Par exemple, Elsa a dessiné les arbres, la cathédrale, certaines parties de l’eau et la baudruche. Quant à moi, j’ai dessiné le rocher, l’enfant nu, la cabane.
Avec ces deux fresques, vous confrontez un peu vos deux univers. Comment les décrirais-tu ?
Lorsqu’on a commencé à dessiner le premier projet, je venais de lire l’essai de Guy Debord, La société du spectacle. Mon regard était donc plein de cynisme. Cela se perçoit dans le dessin, où par exemple des personnes s’accumulent sur un gradin.
L’univers d’Elsa est davantage atmosphérique, abstrait. Elle a beaucoup étudié à l’université sur l’action même de dessiner, de répéter un geste. Par exemple, à force de faire des traits parallèles sur une feuille, le geste devient mécanique et s’approche de celui d’une machine, de la perfection. Mon univers est davantage terrestre, j’ai besoin d’asseoir les choses, de structurer mon dessin quand Elsa va choisir d’investir l’espace en clairsemant les informations « en nuées ».
Crédit : Yann Langevin
Quels sont les caractéristiques, liens, différences entre vos deux polyptyques ?
Le premier projet est une composition de nos univers graphiques, qui fait référence à ce qui nous touche, ce qu’on aime dessiner. On a eu l’idée de faire un collage de nos références, pour s’approcher d’une forme de narration, voire de la bande dessinée.
Le second projet est davantage « posé ». Le paysage est presque cinématographique du fait de l’ambiance qu’il dégage. La seule contrainte que l’on s’est donné était de suivre le modèle construit au préalable. L’exercice est totalement différent. Ce sont deux processus de dessin avec un format qui reste similaire.
Par rapport au premier polyptyque, le second semble emprunt d’une certaine plénitude.
On voulait faire une fausse narration, où les gens se fourvoient pour se demander ce que représente ce paysage. Pour nous, c’est justement une fausse plénitude. Il peut paraître vide par rapport au premier projet qui fourmille de personnages. Au premier abord, on perçoit une scène calme avec un paysage qui nous permet de poser le regard. Tout semble structuré. Pourtant, la scène que nous représentons est bel et bien inquiétante, dérangeante.
En effet, il y a moins de personnages dans le second projet. Pour nous pourtant, la cabane est aussi une figure à part entière, la fumée sortant de la cheminée témoigne d’une présence humaine cachée…
Le canard gonflable interroge les spectateurs : est-il bienveillant ? Hostile ? La porte est ouverte aux interprétations. La fresque prend des formes cinématographiques dans le sens où le public se demande ce qu’il s’est déroulé et ce qui va se dérouler, quel est le lien entre les personnages. J’aime beaucoup lorsqu’il y a de l’interaction ambiguë entre les personnages. Car on ne sait pas ce qu’il se passe et on essaye de donner du sens à cela.
Crédit : Yann Langevin
Dans le cadre du festival, le Projet Pilot a été exposé le samedi 18 octobre au Parlement. Quelle est la réaction des personnes ? Fascination pour les détails ? Etonnement par rapport à l’outil utilisé ?
C’est vrai que généralement, les gens sont impressionnés par le travail de patience, la technique, le souci du détail. Le regardeur se laisse facilement happer.
Une seule journée d’exposition, c’est hyper frustrant ! Où peut-on venir voir votre œuvre ? Quelles sont les suites données à votre projet ? Un troisième polyptyque ?
Pour l’instant, nous n’avons pas prévu de faire un troisième projet. Nous allons consacrer notre énergie à diffuser le projet, faire une exposition itinérante à Rennes, Nantes et ailleurs. Vous en saurez bientôt davantage… !
Pour en savoir plus et connaître la suite du projet, restez connectés via le tumblr du Projet Pilot !
Site Internet d’Antoine Martinet, alias Mioshe.