Traversées vu par InPACT – Initiative pour le partage culturel
Publié le 16 juin 2016 / Actions culturelles - Parcours Sensibles
Interview de Laurence Drake
Déléguée générale d’InPACT
Parcours Traversées
Bonjour Laurence,
– Pouvez-vous nous présenter InPACT ? D’ailleurs que veut dire ce nom ?
InPACT est un fonds de dotation et son acronyme signifie Initiative pour le Partage culturel.
– Quand est né InPACT ? Quel a été à l’origine de sa création ?
Notre fonds est né en 2012. Nous l’avons construit autour de deux grands champs d’intervention, l’art et la philanthropie. Nous sommes convaincus que l’art est un vecteur essentiel de cohésion sociale, un puissant matériau de construction de soi, même si c’est un peu résumé. Nous avions également l’intuition que l’on pouvait inscrire la co-création et la notion de collectif dans une vision renouvelée de la philanthropie. Évidemment, nous avons investi d’autres espaces d’expérimentation, par exemple sur le volet public-privé. InPACT intervient dans un champ où le partenariat public-privé est à la fois indispensable et particulièrement opportun, il fallait donc créer une passerelle.
Nous avons forgé l’identité du fonds autour de la question centrale de la co-création, à tous les niveaux ; depuis les projets que nous soutenons, qui sont atout de créations collectives, d’œuvres participatives, jusqu’à notre gouvernance, attachée à cette notion de collectif. Mais bien entendu, ce qui nous définit le mieux, ce sont les projets que nous soutenons, et sans doute notre mode d’accompagnement qui va bien au-delà du rôle généralement attribué au mécène.
– Vous soutenez des initiatives qui rassemblent des personnes fragilisées ou isolées autour d’un projet culturel ou d’une création artistique. Quels sont les objectifs de ces projets ?
Resserrons un peu la définition, si vous le voulez bien. Nous soutenons des projets de création artistique participatifs. La création d’œuvres collectives menées par des artistes avec des personnes en grande difficulté, éloignées ou en situation d’exclusion. Cette définition est assez précise, vous le voyez, mais nous donne une grande liberté d’action. Notre but est de permettre à des personnes vulnérables de se « mettre en création » avec un artiste, de partir dans une réflexion, un cheminement, très différent du quotidien. Je défends l’idée que le déplacement est essentiel, qu’un tremblement de terre intime aussi imperceptible soit-il, peut permettre de tout changer.
Nous pensons qu’une mobilisation profonde de l’intime crée les conditions d’un changement et que grâce à cet itinéraire décalé, les personnes peuvent découvrir des dimensions d’elles-mêmes et reprendre confiance en elles : être en capacité d’écouter, se sentir entendu, cela commence souvent par là. Au-delà des aptitudes et talents que l’on peut se découvrir, je crois que le faire ensemble peut changer bien des choses. S’il est toujours question de reconnaissance de l’individu et de construction de l’identité, d’autres objectifs qui peuvent sembler moins immédiats peuvent apparaître : insertion, emploi, lien social… Bien sûr, ce n’est pas l’art qui produit directement ces effets, mais nous savons que nos projets peuvent être des déclencheurs, le temps long de la création peut aussi accompagner un cheminement personnel.
– Quels sont les publics que vous souhaitez toucher ?
A InPACT, nous ne parlons jamais de publics ; nous réunissons des personnes. C’est vrai que notre idée n’est pas d’être dans la transmission, ou dans une vision un peu convenue de la démocratisation culturelle. Bien sûr, il est indispensable de créer les conditions et d’assurer un accès à l’art et à la culture pour tous. Ce n’est pas la mission que nous avons attribuée à InPACT, son rôle n’est pas de se substituer aux institutions dont c’est la responsabilité. Nous avons choisi de focaliser notre action, sur un territoire d’action très spécifique, et de mettre l’art au service des personnes les plus fragiles.
Nous voulons réunir des participants. Lesquels ? Il est difficile de délimiter des périmètres de notre action. Le plus souvent, les personnes ne sont accompagnées par aucun dispositif classique – nous allons là où l’argent ne va pas – ne participent à aucune activité culturelle. Tout dépend des régions, des lieux. Nous nous portons aux marges ; là où les urgences sanitaires et sociales l’emportent sur la possibilité de l’art et où les préoccupations ne porteraient justement pas à la création.
– Comment fonctionne la sélection des initiatives ? Quels sont les critères ?
Nous recevons beaucoup de dossiers et travaillons en étroite collaboration avec des partenaires qui connaissent très bien leur territoire. C’est l’intention artistique qui détermine notre instruction, la justesse de la proposition par rapport à un groupe de personnes, le lien avéré entre l’artiste et des partenaires sociaux, chacun doit être responsable d’un volet du projet. La temporalité est essentielle, et bien souvent nous permettons à des artistes d’aller bien au-delà de ce qu’ils avaient imaginé.
– Combien de projets soutenez-vous par an ? Sont-ils tous portés par des associations culturelles ?
Chaque année est différente de la précédente et notre fonds est trop jeune pour tirer des conclusions définitives. Jusqu’à présent nous avons soutenu près de 90 projets, j’espère 120 à la fin de cette année 2016. Chaque dossier, chaque projet est différent. Bien sûr nous sommes encadrés par le dispositif légal du mécénat et les porteurs de projet doivent être éligibles. Nous pouvons cependant dire que nous avons une vraie variété de porteurs de projets. Cependant, bien souvent, ce sont des associations culturelles : compagnies de théâtre, de danse, associations de poètes…
– Quelle(s) aide(s) apportez-vous aux projets que vous soutenez ? Êtes-vous un simple mécène ?
Nous sommes mécènes mais entendons travailler comme des philanthropes. Nous nous plaçons très tôt dans la structuration d’un projet, essayons de développer l’action quand c’est possible, d’étendre la proposition, d’aider parfois les porteurs de projets à aller plus loin dans le questionnement mais également dans l’articulation de leur proposition. Nous sommes présents, tout au long de l’action, essayant de nous rendre disponibles, de dénouer certaines situations plus délicates, d’aider à trouver des solutions créatives… Nous prenons part aux réflexions artistiques et essayons surtout de rester à l’écoute. Nous allons sur des temps d’ateliers, il est très important de rester au plus près des propositions, c’est seulement grâce à cette proximité que nous pouvons travailler avec justesse et diffuser un certain nombre d’idées. Et pour la suite des projets, nous voulons parvenir à « réarrimer » nos projets à des entreprises locales.
– Comment s’est fait la rencontre avec l’association Electroni[k] ?
A l’origine, nous nous sommes rencontrés grâce à Claire Gasparutto, avec qui nous travaillons en étroite collaboration à la DRAC Bretagne. Il nous a fallu un peu de temps pour cheminer les uns vers les autres, pour trouver le projet sur lequel nous pouvions travailler ensemble parmi d’autres propositions.
– Pourquoi avez-vous choisi de soutenir le Parcours Traversées mené par Electroni[k] ? Qu’est-ce qui a retenu votre attention ?
Comme souvent, nous n’avons pas décidé de soutenir, en tout cas pas de prime abord, nous avons dessiné un projet. Traversées a évolué depuis sa première présentation. Il est difficile de dire si c’est tel ou tel axe qui nous a interpelées. Disons qu’un faisceau d’informations nous a donné de bons espoirs. La proposition artistique, le travail sur les souvenirs et l’écriture, la démarche de création numérique, la singularité du processus et évidemment les personnes invitées à entrer en création, dont nous savons qu’elles vivent des situations complexes. Je crois qu’il s’agit d’une rencontre, aussi, où chacun apporte ce qu’il peut et le dialogue s’établit au fil d’un cheminement les uns vers les autres. Cela induit un certain nombre de modifications dans les propositions, ici l’implication dans la durée. Tout le travail de l’équipe avec le porteur de projet s’efface au moment du comité de sélection, c’est pour nous le moment un peu tendu du grand plongeon car c’est nous qui présentons et défendons les candidatures… et peu d’entre eux sont choisis.
– Avez-vous participé à des ateliers lors du Parcours Traversées ? Par quoi avez-vous été marqué ?
Comme souvent, nous essayons de participer à un ou plusieurs ateliers. Ce n’est pas toujours évident, nous courons l’hexagone ! Nous avons pu prendre le temps d’échanger avec les participants, les artistes, nous avons assisté à la toute fin de la réalisation de l’œuvre, les essais… C’est toujours un moment important, de pouvoir comprendre comment les artistes invitent à travailler avec eux mais en se gardant bien de passer la frontière de la co-création qui doit demeurer le maître mot.
– Avez-vous conseillé, apporté votre expérience ?
Il serait présomptueux de le dire… mais je l’espère ! Je crois que le fait d’être les uns à l’écoute des autres, suivant ce même principe de co-création, est un bon moyen de partager sa propre expérience. Nous n’avons pas du tout envie de poser une patte InPACT sur les projets que nous soutenons, cependant je crois que nous pouvons aider à aller au plus loin d’une proposition, sans doute parce que nous avons la bonne distance et un regard extérieur.
– Une fois ce projet réalisé, continuez-vous à apporter votre soutien sur de nouveaux projets d’Electroni[k] ?
Nous entrons en contact par des projets, nous restons partenaires pour toujours… J’espère que nous pourrons apporter une aide à Electroni[k] à l’avenir ; bien entendu, nous ne soutenons financièrement les structures qu’une seule fois. En revanche, nous construisons un réseau de bonnes pratiques qui peut se révéler très efficace sur tout le territoire. J’espère que dans les années à venir nous pourrons dire que nous parvenons systématiquement à arrimer nos projets à des financeurs locaux, par exemple, mais c’est un peu tôt pour le dire. J’entends notre participation à l’économie sociale et solidaire comme la possibilité de construire un vaste réseau d’associations, d’entreprises, d’artistes, de relais, capables de travailler de conserve pour faire vivre ces projets d’exception.
Propos recueillis par Catherine Rué